Haiti

Les manifestations en Haïti vont-elles dégénérer en émeutes avec la montée des prix du carburant?

Lorsque le gouvernement a annoncé en septembre qu'il ne subventionnerait plus le carburant, les prix ont plus que doublé. Maintenant, les Haïtiens doivent se débattre pour en trouver.

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As Gas Prices Rise in Haiti, Will Protests Escalate to Riots?

Anne Myriam Bolivar, GPJ Haiti

Le chauffeur de moto-taxi Wilner Jean-Vil parcours une route vide de circulation à Port-au-Prince. Les pénuries de carburant et les manifestations ont paralysé le pays.

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PORT-AU-PRINCE, HAÏTI : Depuis cinq ans, Wilner Jean-Vil travaille comme chauffeur de moto-taxi pour faire vivre sa femme et ses deux enfants. Il pouvait compter sur un flux quotidien de clients habitués, mais à présent, le pays étant paralysé par des pénuries de carburant et des manifestations, c’est un combat pour trouver des clients.

« Il n’y a pas de travail, pas de sécurité sociale. Nous essayons de créer des emplois par nous-mêmes, mais aujourd’hui, nous sommes fatigués », déclare Jean-Vil. « Il n’y a pas de carburant disponible dans les pompes. »

N’ayant pas de carburant pour faire rouler sa moto, il n’a d’autre choix que de rester à la maison et d’aider sa femme avec leurs enfants. Il compte désormais sur les dons alimentaires de ses amis pour nourrir sa famille.

« Je n’ai rien à donner à mes enfants », dit-il, s’énervant en parlant d’eux. « Ce n’est pas une façon de vivre. »

Ces dernières années, Haïti a connu des perturbations dans son approvisionnement en carburant. Le pays des Caraïbes dépend entièrement du carburant importé, et les importations n’ont été suffisantes pour satisfaire la demande en raison de l’incapacité du gouvernement à payer à temps. Maintenant, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mettant encore plus de pression sur l’approvisionnement en carburant, les pompes d’Haïti sont pratiquement vides. Les vendeurs du marché noir sont la seule option pour la plupart des habitants.

Jean-Vil est l’un des plus de 800 000 chauffeurs de moto-taxi en Haïti qui ont du mal à joindre les deux bouts. Sa famille ne peut plus compter sur ses revenus qui atteignaient environ 200 à 1 500 gourdes haïtiennes ($1,45 à $11) par jour. Le gouvernement subventionnait le coût du carburant, mais après l’annonce par le Premier Ministre Ariel Henry en septembre de la fin de ces subventions, les prix ont plus que doublé, déclenchant des manifestations et des barricades  routières dans les grandes villes ainsi que des appels à la démission du Premier Ministre. Des gangs criminels ont bloqué le principal terminal de carburant de Port-au-Prince, empêchant la circulation des camions-citernes. De nombreuses entreprises et écoles restent fermées tandis que les troubles civils et la pénurie de carburant paralysent le pays.

Les experts locaux avertissent que le pays doit prendre des mesures sérieuses pour empêcher les émeutes, mais les mesures prises par le gouvernement pour distribuer du carburant au cours de la deuxième semaine de novembre n’ont pas fait grand-chose pour apaiser la colère ou diminuer les prix.

« Il y a trois mois, j’ai passé plus d’une journée à la pompe pour obtenir 5 gallons de carburant au prix fixé par l’État. J’ai acheté un gallon d’essence à 250 gourdes [$1,80] », explique Jean-Vil. « Même si c’était difficile et que cela m’a pris beaucoup de temps, c’était disponible. »

Le carburant étant si rare, les habitants se tournent vers le marché noir, où les vendeurs demandent des prix exorbitants allant jusqu’à 3 500 gourdes ($25,50) par gallon.

Le 8 novembre, le Ministère haïtien du Commerce et de l’Industrie, qui a refusé les demandes de commentaires, a annoncé une « distribution disciplinée de l’essence dans l’intérêt de toute la population à partir du samedi 12 novembre 2022 », après que le gaz ait été fourni à “diverses stations-service” au cours des trois jours précédents. Il semblerait que la police ait pu reprendre le contrôle d’un important terminal de carburant auparavant bloqué par des gangs.

Dieunaire Jean Charles est un ancien chauffeur de taxi moto devenu coordinateur de la Plateforme des Associations de motocyclistes taxis d’Haïti, une association de plus de 37 000 membres qui a aidé à encadrer les chauffeurs de moto taxi, leur fournissant des vestes pour qu’ils soient plus visibles sur la route et promouvant des pratiques de conduite plus sûres. Il dit que le carburant supplémentaire ne changera pas la situation.

Anne Myriam Bolivar, GPJ Haiti

Anne Myriam Bolivar, GPJ Haiti

« Nous demandons toujours une baisse des prix du carburant », explique Dieunaire. « L’État a annoncé que le carburant sera disponible dans les stations-service, mais n’a pas annoncé de baisse de prix. Nous sommes toujours confrontés à une augmentation des prix, ce qui n’est pas à l’avantage de la population. »

Néonce Antoine, un gérant de station-service, dit que même s’ils recevaient un approvisionnement en carburant, il craint les attaques de manifestants s’il essaie de le vendre au nouveau prix plus élevé.

« Je pense que le gouvernement a très mal agi, en doublant le prix du carburant dans un pays où le taux de chômage est très élevé et le salaire minimum très bas », déclare Antoine. « Cela étouffera davantage les personnes qui vivent déjà dans une insécurité croissante à cause des gangs. »

Les prix des denrées alimentaires n’ont cessé d’augmenter. Haïti ne produit pas assez de nourriture pour répondre à la demande, elle dépend donc des importations, principalement des États-Unis et de la République Dominicaine voisine. Haïti importe la totalité de son huile de cuisson et 80% de son riz, la plus grande importation du pays et dont le prix a augmenté de plus de 30% au cours de la dernière année. La hausse spectaculaire des prix des denrées alimentaires, ainsi que la crise du carburant et les barricades routières, menacent l’accès à la nourriture dans un pays où environ un tiers de la population est déjà en situation d’insécurité alimentaire.

Le mari de Jeannie Brice conduisait un moto-taxi jusqu’à ce que la crise l’ait mis hors de circulation. « La situation est désastreuse », dit-elle. « Quand vous ne travaillez pas et quand votre mari ne peut pas travailler et que vous voyez vos enfants souffrir, avoir besoin de manger et que vous ne pouvez pas leur donner à manger, vous pouvez comprendre ma souffrance en tant que mère. »

Sabine Lamour, professeur de sociologie à l’Université d’État d’Haïti, affirme que les personnes qui travaillent dans le secteur informel, comme les chauffeurs de taxi, les vendeurs de rue et les marchands, ont du mal à gagner leur vie à cause de l’instabilité. Les personnes qui travaillent dans la rue voient leur espace de travail se rétrécir avec l’insécurité croissante, dit-elle.

« Ce qui se passe aujourd’hui dans le pays est le résultat du déséquilibre social existant au sein de la population haïtienne. », déclare Lamour.  « Des mesures sérieuses doivent être prises pour éviter les émeutes ».

Jean-Vil ne peut qu’attendre de voir si la dernière livraison de carburant l’aidera à gagner sa vie.

« Le carburant doit être disponible dans les pompes, afin que nous puissions travailler et subvenir aux besoins de nos familles », dit-il. « Cela ne devrait pas être trop demandé. »

Anne Myriam Bolivar est journaliste à Global Press Journal en poste à Port-au-Prince, en Haïti.


NOTE À PROPOS DE LA TRADUCTION

Traduit par Soukaina Martin, GPJ.